Le ministère du budget a publié le 15 octobre 2024 un communiqué de presse intitulé L'État accompagnera la généralisation de la facturation électronique entre entreprises. Ce communiqué rappelle le calendrier de déploiement de la réforme de la facturation électronique :
- 1er septembre 2026 : obligation de recevoir des factures électroniques pour toutes les entreprises et obligation d'émettre pour les grandes entreprises et les établissements de taille intermédiaire,
- 1er septembre 2027 : obligation d'émettre des factures électroniques étendue aux PME et TPE.
- faire le choix du portail public de facturation (PPF), un service gratuit proposé par l'administration sur le modèle de ce qui se pratique jusqu'à présent pour Chorus Pro, avec des APIs ouvertes et une interface Web. Cette plateforme avait vocation à assurer les fonctionnalités indispensables et à supporter uniquement les 3 formats de facture électronique dits "du socle" : UBL, CII et Factur-X.
- s'offrir les services d'une plateforme de dématérialisation partenaire (PDP), un prestataire privé agréé par l'État, qui propose des offres de raccordement et est en mesure de proposer des services à valeur ajoutée, tel que par exemple la conversion de format des factures depuis le format spécifique du logiciel de facturation de l'entreprise vers un des 3 formats du socle.
Ainsi, les entreprises déjà dotées d'un logiciel de facturation moderne capable d'émettre et recevoir des factures au format UBL, CII ou Factur-X et qui n'étaient pas en recherche d'autres services à valeur ajoutée, avaient la possibilité de se raccorder gratuitement au PPF, qui proposait des APIs gratuites directement accessibles sans passer par un intermédiaire. Et les entreprises qui n'étaient pas en mesure de générer des factures électroniques dans l'un des 3 formats du socle et/ou qui étaient intéressées par d'autres services à valeur ajoutée proposés par certains PDPs (financement du poste client, relances clients, etc.) pouvaient opter, moyennant finance, pour une solution adaptée à leurs besoins. A ce stade, Akretion avait fait le choix de développer un module opensource pour Odoo qui implémenterait les APIs du PPF pour envoyer et recevoir des factures électroniques au format Factur-X et/ou UBL, sur le modèle du connecteur Odoo-Chorus Pro développé par Akretion au sein de l'Odoo Community Association.
Mais voilà que Bercy décide soudain d'abandonner le PPF et de forcer toutes les entreprises à choisir une PDP pour émettre et recevoir leurs factures électroniques. Cette trahison de la promesse initiale de la réforme survient à moins de 2 ans de l'échéance du 1er septembre 2026 !
Bercy met en avant le fait qu'il existe déjà 70 candidats PDPs qui ont reçu le statut immatriculé sous réserve et que ce large choix doit permettre à chaque entreprise de trouver l'offre qui lui convient le mieux. Parmi ces 70 PDPs immatriculés sous réserve, combien obtiendront l'immatriculation finale ? Les entreprises vont donc devoir choisir une PDP immatriculée sous réserve et réaliser les développements logiciels pour utiliser les APIs du PDP qu'elles auront choisi... sans oublier un plan de secours au cas où le PDP initialement choisi n'obtienne pas son immatriculation finale ! L'interfaçage entre un logiciel de facturation/comptabilité et une PDP nécessite des développements logiciels conséquents qui mettent en jeux de nombreux appels d'APIs. Les flux à implémenter sont nombreux :
- envoi des factures client,
- réception des factures fournisseur,
- remontée du statut de traitement des factures fournisseur,
- remontée des dates d'encaissement des factures client en TVA sur encaissement,
- envoi des informations du e-reporting à la fréquence demandée par l'administration,
- accès à l'annuaire pour connaître la maille d'adressage (SIREN, SIRET) et les éventuels code routage de chaque client.
Passer d'une PDP à une autre sera une tâche longue et donc coûteuse pour les entreprises. Obliger les PDPs à proposer une API de raccordement standardisée serait une façon de réduire les coûts et de favoriser la concurrence entre PDP, mais, à ce stade, le cahier des charges d'immatriculation des PDPs ne le prévoit pas. Bercy aurait pu annoncer cette nouvelle exigeance pour l'immatriculation des PDPs en même temps que l'abandon du PPF, mais ce n'est malheureusement pas le cas.
Si rien n'est fait, la situation pourrait ressembler à ce qui se pratique aujourd'hui pour la télétransmission de la TVA :
- aucune API ouverte et gratuite n'est proposée par la DGFiP pour la télétransmission de la TVA,
- les entreprises qui souhaitent télétransmettre leur déclaration de TVA doivent choisir un prestataire privé agréé par l'État qui propose ses services (payants) de télétransmission, comme expliqué sur cette page du site impots.gouv.fr.
- chaque passerelle de télétransmission de la TVA propose sa propre API ou son propre mode d'envoi des données de TVA. Changer de passerelle de télétransmission de la TVA nécessite donc des développements logiciels supplémentaires et donc des coûts. D'après notre expérience, certaines passerelles facturent même des frais
d'entrée de plusieurs milliers d'euros (mais heureusement, ce n'est pas le cas de toutes les passerelles).
Les entreprises désirant télétransmettre leur déclaration de TVA se retrouvent donc à rémunérer des intermédiaires privés dont la seule valeur ajoutée est de proposer une API que la DGFiP ne propose pas. Est-ce normal ?
Avec l'arrivée en 2016 de la plateforme Chorus Pro dédiée au traitement des factures à destination de la sphère publique (État, collectivités locales, fonction publique hospitalière), Bercy a enfin fait le choix de l'ouverture en proposant un portail gratuit mais aussi des APIs librement accessibles à toutes les entreprises sans passer obligatoirement par des intermédiaires. Avec Chorus Pro, Bercy s'engageait enfin sur la voie des APIs ouvertes, dans la lignée de la doctrine des APIs dans l'administration élaborée par la DINUM (Délégation Interministérielle du Numérique).
Malheureusement, depuis la décision du 15 octobre 2024 sur la réforme de la facturation électronique, les vieilles habitudes du passé ressurgissent : Bercy renonce à la mise à disposition d'une plateforme et d'APIs ouvertes et gratuites et décide d'obliger toutes les entreprises à passer par des prestataires sélectionnés qui font payer leurs services d'intermédiation. Tout le monde sait bien que ce n'est pas en ajoutant des intermédiaires qu'on réduit les coûts ! Concernant la déclaration de TVA, la télétransmission n'est pas obligatoire et les entreprises ont toujours la possibilité de réaliser leur déclaration de TVA en ligne gratuitement dans leur espace professionnel sur impots.gouv.fr. Mais dans le cadre de la réforme de la facturation électronique, toutes les entreprises devront choisir une PDP, sans solution alternative possible. Pour les entreprises, c'est une sorte de nouveau péage numérique qui se profile à l'horizon !
Comme de nombreuses organisations professionnelles qui ont manifesté leur mécontentement par communiqué ou par voie de presse suite à la décision de Bercy (la CPME, la Fédération Française du Bâtiment, la Confédération des Grossistes de France, l'Union des Entreprises de Proximité, la Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment et la Fédération Nationale des Travaux Publics), Akretion exprime son désaccord sur l'abandon du portail public de facturation. Si le développement de ce portail est réellement trop long et trop complexe pour Bercy, il faut a minima que l'administration mette à la disposition des entreprises des APIs ouvertes et gratuites pour émettre et recevoir des factures électroniques, envoyer les données de e-reporting et accéder à l'annuaire, sans imposer le passage par une PDP. Étant donné que Bercy devra de toute façon mettre des APIs à disposition des PDPs, il ne devrait pas y avoir de surcoût majeur à permettre l'accès à ces APIs pour toutes les entreprises françaises.
Au délà de la réforme de la facturation électronique, l'accès à des APIs ouvertes et gratuites pour effectuer les déclarations administratives obligatoires devrait être un objectif à atteindre pour tout État moderne qui souhaite réellement simplifier la vie des entreprises. A minima, toutes les déclarations administratives mensuelles obligatoires devraient pouvoir être télétransmises par des API ouvertes et gratuites :
- la déclaration de TVA (formulaire 3310-CA3, 3310-A et 3519),
- l'EMEBI (anciennement Déclaration d'Échange de Biens),
- la DES (déclaration européenne des services).
Akretion France demande à Bercy la mise à disposition d'API ouvertes et gratuites pour la réforme de la facturation électronique et aussi pour toutes les déclarations mensuelles obligatoires.
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